- POLYMÈRES - Polymères conducteurs
- POLYMÈRES - Polymères conducteursOn associe souvent la notion d’isolant électrique au concept de polymère, ce type de matériau ayant été principalement utilisé par l’industrie jusqu’à une époque récente pour des applications où une conductivité électrique serait une gêne: matières plastiques pour les besoins ménagers, isolants pour câbles électriques, etc. Les avantages des polymères de type organique (donc constitués principalement d’atomes de carbone et d’hydrogène) sur les matériaux minéraux classiques (acier, cuivre, aluminium, zinc, silicium...) résident en leur faible poids à volume donné et leurs bonnes propriétés mécaniques (élasticité, ductilité, résistance à la rupture) pour toutes les applications avec pièces mobiles. Cependant, le principal inconvénient de beaucoup de ces polymères est une grande sensibilité à certains agents extérieurs (rayonnements visible ou ultraviolet, milieux acide ou basique, chaleur, contact mécanique avec des corps durs) qui détériorent leurs propriétés intéressantes et leur confèrent une durée de vie assez limitée. Parmi les matériaux de ce genre le plus connus, citons les polymères saturés comme le polyéthylène, le polystyrène, le polychlorure de vinyle et le polypropylène. Toutefois, pour certains polymères (généralement des polymères insaturés), la sensibilité vis-à-vis d’un agent chimique extérieur peut être mise à profit pour améliorer les performances du matériau. Par conséquent, une évolution logique et attendue des recherches sur les polymères organiques a été la mise au point de systèmes ayant une conductivité électrique non négligeable – faisant de ces matériaux soit des semiconducteurs, soit des conducteurs – et essayant de combiner de bonnes propriétés mécaniques avec des propriétés électriques contrôlables. Si de telles idées ont fait l’objet de nombreuses recherches depuis plusieurs dizaines d’années, c’est seulement depuis 1974 que les travaux sur les polymères conducteurs ont pris une importance exceptionnelle qui les place parmi les sujets de pointe de la science des matériaux. Cette année-là a vu en effet la première synthèse sous forme de film du polymère appelé polyacétylène, de formule (CH)x , par le Japonais H. Shirakawa. Trois années plus tard, les Américains A. J. Heeger et A. G. MacDiarmid rendaient le polyacétylène conducteur par dopage. Depuis, de nombreux autres systèmes ont été élaborés, tous caractérisés par une conductivité électronique assez élevée à température ambiante (dans le domaine de 10 à 1 000 行 size=1漣1 . cm size=1漣1, soit environ 500 fois moins que le cuivre). C’est actuellement un domaine excessivement vaste qui s’ouvre à la recherche et à l’innovation, avec pour but la mise au point de nouveaux matériaux techniquement importants, éventuellement capables de concurrencer les métaux classiques.1. Les diverses classes de matériauxParmi les matériaux polymériques qui conduisent l’électricité, on distingue les diverses classes suivantes:– les systèmes où la conductivité est de type électronique (les charges en déplacement sont des électrons);– ceux où la conductivité est de type ionique (les charges en déplacement sont des ions qui peuvent circuler dans le polymère) et qui sont à considérer comme des électrolytes solides;– les matériaux constitués de particules conductrices (argent, noir de carbone) noyées dans un polymère isolant et dont la conductivité globale est assurée par un phénomène de percolation . Ces matériaux sont généralement appelés «polymères chargés».Le terme de polymère conducteur désignera exclusivement la première classe de matériaux, justifiant l’appellation de «métal synthétique» qui leur est souvent donnée.2. Concepts anciens et modèles d’aujourd’hui pour matériaux de demainLe chef de file des polymères conducteurs est le polyacétylène dopé. Le système de départ avant dopage est constitué du plus sinple des polymères organiques puisque résultant de la polymérisation de l’acétylène C2H2, et que l’on écrit généralement:Une caractéristique essentielle de ce système est l’alternance liaison simple-liaison double entre atomes de carbone, donnant la forme trans à la chaîne stable du polymère (fig. 1). Si ces liaisons étaient de longueurs égales, l’électron apporté par chaque carbone pour former la double liaison (électron 神) serait délocalisé le long de la chaîne du polymère, qui se comporterait alors comme un réel métal. En fait, on a montré qu’une différence d’environ 0,003 nm existe entre les longueurs des deux types de liaisons, entraînant une localisation des électrons et rendant le système isolant (ou, plus exactement, semi-conducteur). La différence en énergie entre les derniers états électroniques occupés et les premiers états vides (bande interdite) est de l’ordre de 1,4 électronvolt (eV), valeur comparable à celle qui est observée pour le semiconducteur minéral le plus connu, le silicium.Les caractéristiques essentielles du polyacétylène sont: une masse volumique nominale proche de 1,2 g/cm3; une structure fibrillaire (fig. 2) qui en fait un matériau poreux de masse volumique apparente 0,4 g/cm3; une cristallinité relativement importante (face=F0019 力 80 p. 100) due à l’arrangement quasi parallèle des chaînes dans l’axe des fibres. Chaque chaîne du polymère comporte en moyenne entre 500 et 1 000 atomes de carbone, ce qui permet de considérer le système comme unidimensionnel. Ce caractère d’unidimensionnalité apparaît bien lorsque l’on étudie les propriétés des défauts de conjugaison (perturbation dans l’alternance des liaisons simples et doubles) qui peuvent exister dans la structure. De tels défauts (dont l’existence est connue depuis longtemps et qui sont depuis peu couramment appelés solitons ) ont la particularité d’être paramagnétiques, mais sans porter de charge électrique (fig. 3). Ils ne sont en fait pas localisés mais distribués sur environ quinze sites de carbone, et leur mobilité le long de la chaîne est très grande. Il est important de noter que ces défauts sont typiques du polyacétylène, dont la symétrie moléculaire est élevée, et sont très stables par suite de la dégénérescence (deux manières d’«écrire» la chaîne du polymère pour une seule valeur de l’énergie) de la forme trans. En revanche, du fait de leur neutralité électrique, ils ne participent pas aux processus de conduction électronique.Le polyacétylène peut être rendu conducteur par dopage avec une grande variété d’espèces chimiques. Cela peut être fait chimiquement, par simple contact avec l’espèce dopante, ou électrochimiquement, par le passage d’un courant dans une solution électrolytique appropriée. Le dopage procède par transfert de charge entre les chaînes du polymère et l’espèce dopante. On peut considérer des espèces oxydantes A (qui enlèvent des électrons 神 au polymère) comme l’iode, le brome, As5, FeC13, etc., ou des espèces réductrices D (qui apportent des électrons au polymère) comme le lithium, le sodium, le potassium, etc. La réaction de dopage (fig. 4) peut être décrite par:où y représente la concentration en espèce dopante, qui peut atteindre 20 p. 100. On suppose que les ions D+ et A size=1漣 pénètrent non seulement dans la structure poreuse du polymère, mais bien à l’intérieur des fibres suivant un processus similaire à l’intercalation d’espèces chimiques dans le graphite. Compte tenu de ce que l’on connaît sur les cinétiques de ces pénétrations, on peut estimer que des temps de quelques minutes à quelques dizaines d’heures sont nécessaires pour que l’on puisse considérer le dopage comme homogène dans la totalité du matériau (ce temps dépendant des divers paramètres géométriques du système).La conductivité électrique du matériau dopé augmente de façon considérable par rapport au matériau non dopé. La variation de cette conductivité avec y (fig. 5) présente une saturation vers y 力 1 p. 100, qui traduit le fait que le système a atteint un état quasi métallique (conductivité dans le domaine de 10 à 1 000 行 size=1漣1 練 cm size=1漣1). La valeur maximale obtenue dépend peu de la nature de l’espèce dopante. Par contre, le système dopé est très sensible au contact avec l’air ou avec la vapeur d’eau: leur action fait décroître plus ou moins rapidement la conductivité, et cette instabilité est un des problèmes actuels cruciaux de ces matériaux.Les mécanismes par lesquels les charges peuvent se déplacer dépendent de la concentration en dopant. Dans tous les cas, ils font intervenir l’existence en plus ou moins grand nombre de solitons chargés ou de bipolarons (paires de solitons chargés) [fig. 4 et 6]. Ces charges occupent des états énergétiques qui se situent dans la bande interdite du polyacétylène. À faible concentration, ces états sont distribués de manière discrète, et la conduction se fait par sauts entre ces états spatialement localisés. En revanche, à forte concentration, ils forment un quasi-continuum qui recouvre la bande interdite, permettant la délocalisation des charges.Dans les matériaux classiques (cuivre, aluminium par exemple), à la haute conductivité électronique est associée l’existence de propriétés magnétiques particulières: la réponse du système à un champ magnétique (caractérisée par la susceptibilité de Pauli 﨑p) est indépendante de la température. Le polyacétylène fortement dopé présente sur ce point un comportement paradoxal: il existe toute une zone de concentration en dopant où l’absence de susceptibilité de type Pauli coexiste avec une haute conductivité (fig. 5). Ce résultat a été exploité pour renforcer la validité du modèle de conductivité faisant intervenir la notion de solitons chargés (et de bipolarons), qui n’implique pas de magnétisme de type Pauli.Si le polyacétylène, dopé et non dopé, a fait l’objet des plus nombreuses études, beaucoup d’autres systèmes ont été élaborés ces dernières années. Ils ont tous en commun l’existence d’une conjugaison plus ou moins étendue (fig. 7). Tous ces systèmes montrent une augmentation considérable de conductivité (entre 5 et 10 ordres de grandeur) par dopage avec diverses espèces chimiques.Chaque système polymère/dopant a ses caractéristiques propres qui motivent l’intérêt des recherches: solubilité, amorphicité ou cristallinité, aptitude à former des films minces, propriétés élastomériques, haute conductivité, conversion photovoltaïque, forte absorption des ondes électromagnétiques, forte surface spécifique, bonne tenue en milieu aqueux ou à l’air. Plutôt que de mettre l’accent sur le seul aspect conductivité, la tendance actuelle est de tenter de combiner plusieurs de ces caractéristiques intéressantes. Par exemple, de nombreuses recherches se concentrent sur les matériaux élastomères conducteurs, qui donc allient des propriétés d’élasticité (comme le caoutchouc) avec une conductivité raisonnable (de 0,1 à 10 行 size=1漣1 練 cm size=1漣1). Un autre exemple est celui des polymères conjugués solubles qui autoriseraient la fabrication de films minces de polymères conducteurs (de 0,1 à 10 猪m).Un aspect très original des travaux sur les polymères conducteurs est qu’ils motivent autant la recherche tournée vers les applications que celle qui est préoccupée principalement par les problèmes fondamentaux. Les polymères conjugués, et en particulier le polyacétylène, sont en effet de bons candidats pour tester les modèles théoriques décrivant les matériaux à faible dimensionnalité (le polyacétylène a un comportement unidimensionnel, alors que le graphite est bidimensionnel et le cuivre tridimensionnel). Ces effets sont au cœur des préoccupations actuelles de la recherche scientifique, du fait qu’ils sont générateurs de concepts nouveaux (le soliton en est un) tout en ouvrant des perspectives de retombées technologiques de première importance: les supraconducteurs organiques.3. ApplicationsLe champ des applications possibles des polymères conducteurs est extrêmement vaste, principalement à cause de la grande variété de caractéristiques que l’on peut obtenir avec ces systèmes: couches minces, matériaux poreux, élastiques, solubles, systèmes semiconducteurs ou métalliques. Les applications sur lesquelles se concentrent actuellement les recherches au niveau mondial sont: les batteries à électrodes en polymères conducteurs, les matériaux absorbant les micro-ondes, le transport de signal électrique, l’électrochromisme.BatteriesC’est surtout le polyacétylène (le polyphénylène et le polypyrrole dans une moindre mesure) qui a été utilisé. On exploite dans ce cas la grande surface spécifique (60 m2/g) liée à la porosité du matériau ainsi que son potentiel d’oxydoréduction important (de 1 à 3 V). Le principe consiste à doper l’une des électrodes avec des ions positifs (Li+ par exemple) et l’autre avec des ions négatifs (ClO4 size=1漣 par exemple) dans une cellule appropriée (fig. 8), ce qui provoque une différence de potentiel entre les deux électrodes. L’énergie massique d’une telle batterie semble raisonnable (face=F0019 力 40 à 100 Wh/kg), et sa puissance massique serait très intéressante (face=F0019 力 1 000 W/kg). Ce type d’application a demandé de nombreuses recherches, ainsi qu’une confrontation avec les autres types de batteries.Matériaux absorbant les micro-ondesCertains polymères conducteurs, en particulier le polyacétylène dopé, se montrent très efficaces pour absorber avec une réflexion très faible les ondes électromagnétiques dans le domaine des hyperfréquences. Cette propriété, qui demande un conditionnement adéquat du système, peut être mise à profit pour concevoir des blindages électromagnétiques ainsi que des masques capables d’atténuer le phénomène d’écho radar.Transport électriqueL’avantage d’un polymère conducteur par rapport aux conducteurs classiques pour le transport électrique réside dans sa densité proche de 1 (comparée à 8,9 pour le cuivre). On peut donc envisager des câbles légers, particulièrement intéressants pour le transport électrique au fond des mers ou pour tout matériel embarqué (automobile, avion, satellite).ÉlectrochromismeLa plupart des polymères conducteurs montrent un changement de couleur en fonction de leur degré d’oxydoréduction. Cela est particulièrement spectaculaire pour le polypyrrole et le polythiophène. Dans ce dernier cas, une simple variation de potentiel électrique fait passer un film mince de la couleur verte à la couleur rouge. Les caractéristiques obtenues ont permis d’envisager la mise au point d’écrans plats pour affichage ou pour télévision.Il est probable que bien d’autres applications vont être découvertes ou développées dans le futur. On peut citer les polymères intrinsèquement ferromagnétiques, et la maîtrise des propriétés électroniques des polymères conducteurs est un premier pas vers la sub-microélectronique organique du futur.
Encyclopédie Universelle. 2012.